La pratique de l’anesthésie loco-régionale (ALR) s’impose comme une technique de référence dans de nombreuses chirurgies, notamment orthopédiques. Pourtant, sa mise en œuvre soulève des enjeux cruciaux en matière d’information, de consentement, de traçabilité et de gestion des risques. Ce texte propose une synthèse pratique des recommandations et des points d’attention pour sécuriser la prise en charge périopératoire en ALR.
Préopératoire : informer et recueillir le consentement
Comment bien informer ?
L’information préopératoire ne se limite pas à une formalité administrative. Elle constitue un acte médical à part entière, qui doit être adapté à chaque patient, chaque intervention, chaque contexte. Une bonne information repose sur plusieurs piliers :
- Présenter toutes les options disponibles, et pas uniquement celle privilégiée dans le service. L’objectivité est essentielle.
- Expliquer les bénéfices mais aussi les risques spécifiques de chaque technique
- Rappeler au patient qu’il a le droit de refuser une technique, et que ce choix doit être respecté.
- Utiliser des supports adaptés : fiches d’information, vidéos, ou documents numériques permettent une meilleure compréhension et assurent une traçabilité de l’information délivrée.
Le consentement éclairé : plus qu’un document à signer
Le recueil du consentement n’est pas un simple passage obligé : c’est la traduction concrète du respect de l’autonomie du patient. Il doit être explicite, librement donné, et documenté. Toute modification ultérieure de la stratégie anesthésique, notamment en l’absence de justification ou de traçabilité, expose à des risques médico-légaux importants. Cela concerne particulièrement les changements de dernière minute, réalisés au bloc opératoire sans information complémentaire ni validation du patient.
Cas jurisprudentiels : des rappels utiles
Certaines décisions de justice illustrent avec force les conséquences possibles d’un défaut d’information ou du non-respect du consentement.
Refus non respecté : une condamnation inévitable
Une patiente, vue en consultation pour une hystéroscopie, refuse explicitement une anesthésie loco-régionale et exprime sa préférence pour une anesthésie générale. L’équipe décide malgré tout d’imposer une rachianesthésie. À la suite d’un déficit neurologique post-opératoire, la responsabilité de l’établissement est engagée. La Cour d’appel de Riom (2018) retient le non-respect du choix du patient comme cause de condamnation.
Changer d’avis au bloc : un risque évitable
Autre situation fréquente : une patiente consultée en CPA pour un canal carpien demande une anesthésie générale. Le jour de l’intervention, un autre anesthésiste choisit une ALR avec sédation, sans rediscussion ni traçabilité. Une complication survient (syndrome douloureux régional complexe) et la responsabilité du praticien est reconnue. Ce cas rappelle l’importance de respecter le choix exprimé en consultation, même lorsqu’un autre professionnel intervient au bloc.
Organisation : protocoles et traçabilité
Une pratique sécurisée de l’ALR repose sur une organisation claire et des outils partagés. Formaliser les conduites à tenir permet de limiter les écarts et d’anticiper les situations à risque.
Protocole de service : Une sécurité
Toute pratique hors recommandations (ex. : ALR sur terrain à risque) doit être justifiée et protocolisée. Ce cadre limite l’exposition individuelle et renforce la cohérence de la prise en charge.
Tracer systématiquement les anesthésies loco-régionales
La traçabilité est un élément clé, à la fois pour assurer la continuité des soins et pour se protéger en cas de litige. La Société française d’anesthésie-réanimation propose une fiche de traçabilité de l’anesthésie loco-régionale à télécharger et implémenter dans vos logiciels métiers. Elle permet de documenter les éléments techniques (type de bloc, produit, matériel utilisé, niveau de repère, etc.) ainsi que les éventuelles difficultés rencontrées.
👉 Lien vers la fiche de traçabilité SFAR
Bloc opératoire : les deux incontournables
L’environnement du bloc opératoire est propice aux erreurs évitables, en particulier lorsqu’il y a pression de temps ou changements de programme. Deux réflexes doivent devenir systématiques dans toute réalisation d’ALR.
- Vérifier le côté
L’erreur de côté reste une cause classique d’événement indésirable grave, pourtant totalement évitable. L’application rigoureuse du protocole « Stop Before a Block » est indispensable : identification du patient, vérification du côté à anesthésier, validation avec l’équipe chirurgicale. Cette vérification doit être renouvelée après toute modification de position. - Assurer une traçabilité complète
Chaque ALR doit être intégralement tracée dans le dossier anesthésique. Ce niveau de documentation est désormais attendu en cas d’expertise, et s’aligne sur les recommandations de la SFAR en matière de sécurité des soins.

Post-opératoire : surveiller, dépister, prendre en charge
Assurer un suivi actif
Après tout bloc, il est indispensable de vérifier l’évolution neurologique dans les heures qui suivent. Le patient doit être informé des signes d’alerte à signaler, même en cas de sortie rapide ou ambulatoire.
En cas de complication : identifier et orienter sans délai
- Reconnaître les signes évocateurs : dysesthésie, déficit moteur persistant, douleurs inhabituelles.
- Utiliser des outils simples d’évaluation, comme le score DN4, pour identifier une douleur neuropathique.
- En phase aiguë, un bilan rapide peut inclure une échographie à la recherche d’un hématome.
- L’orientation vers une consultation neurologique spécialisée doit être précoce, avec discussion d’examens complémentaires (ENMG, IRM) si les symptômes persistent ou s’aggravent.
Travailler en équipe : un facteur-clé de sécurité
La coordination entre MAR et chirurgiens est indispensable. Le partage des informations issues de la consultation préanesthésique, l’identification des patients à risque (âge avancé, comorbidités, traitements anticoagulants) et l’anticipation des conduites à tenir permettent une prise en charge plus réactive et plus sûre.
Conclusion : les bons réflexes à intégrer dans sa pratique de l’ALR
À chaque étape du parcours périopératoire, l’anesthésie loco-régionale impose rigueur et anticipation. Informer clairement, recueillir un consentement véritablement éclairé, tracer chaque geste avec précision, et surveiller activement le patient : ces actions ne relèvent pas seulement du bon sens, mais d’une exigence professionnelle et réglementaire croissante.
Étape | Action essentielle |
Préopératoire | Informer, recueillir le consentement, respecter les choix |
Bloc opératoire | Vérifier le côté (« Stop Before a Block »), tracer la réalisation |
Post-opératoire | Suivre, dépister, traiter les complications |
Article rédigé par le Dr Cyril Quemeneur – Médecin Anesthésiste-Réanimateur à la clinique Drouot
Publié le 12.05.2025.